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Birmanie… Un peu d’histoire

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Voici quelques éléments qui vous permettront je l’espère de mieux connaître le Myanmar (ex Birmanie) en dehors des clichés de cartes postales qui vantent la beauté et l’ouverture fulgurante de ce pays…

GEOGRAPHIE

Entouré par le Bangladesh et l’Inde à l’ouest, la Chine au nord et la Laos et la Thaïlande à l’Est, le Myanmar est un pays de taille équivalente à la France et à la Grèce réunies. Du nord au sud, il y a plus de 2000 km. De nombreuses montagnes et jungles sont présentes et le pays dispose d’un accès mer sur le golfe du Bengale. Le fleuve principal, l’Irrawaddy, est un axe important de transport même si aujourd’hui le réseau routier se développe à grand pas.

POPULATION ET RELIGION

La Birmanie compte environ 55 millions d’habitants, une centaine d’ethnies différentes et autant de langues. Le birman est la langue commune.

La Birmanie est devenue le Myanmar en 1989. La junte militaire voulait ainsi couper définitivement les liens avec le passé colonial car le mot Birmanie provient du mot anglais « Burma ». De plus, il s’agissait de renouer avec un passé glorieux car ce pays s’appelait déjà Myanmar au XIIIème siècle.

Les Birmans descendent des Mongols et constituent 70% de la population. Ils sont essentiellement installés le long de l’Irrawaddy, sur près de 60% du territoire, là où se trouvent les terres les plus fertiles.

Les cinq principales minorités qui peuplent le reste du pays sont les Shan à l’est, les Karen au sud-est, les Môn au sud, les Kachin dans le nord-est, et les Rakhine à l’Ouest.

Le pays est divisé administrativement en 7 divisions à dominance birmane et en 7 États représentant plus ou moins les principales minorités. La capitale depuis 2006 est Naypyidaw, ville créée pour l’occasion, considérée comme plus centrale et donc plus apte à contrôler le pays que Yangon.

89% de la population est bouddhiste. Cela n’empêche pas de croire aux nat (esprits). Les autres se partagent entre chrétiens (6%), musulmans (4%), etc.

Le bouddhisme en vigueur ici est le Theravada, dite du « Petit Véhicule ». Bien plus qu’une simple religion qui impose de croire à un Dieu, le bouddhisme est plutôt une voie censée conduire au bonheur spirituel. Les 4 nobles vérités sont : l’attachement conduit à la souffrance, l’origine de l’attachement est dans les passions, pour se libérer de la souffrance il faut maîtriser les passions, pour maîtriser les passions il faut suivre une discipline.

En pratique, chaque birman suit tout au long de sa vie des enseignements bouddhistes. Souvent ils sont novices vers l’âge de 10 ans, et reviennent généralement au monastère durant une période (très variable) une fois adultes. Le monastère est aussi la seule possibilité qu’ont les enfants pauvres d’avoir un semblant d’éducation. Les nonnes, habillées en rose, ne disposent pas de la même considération que leurs homologues masculins. Le Bouddha devait être macho.

Les donations (en vue de cumuler du bon karma pour la prochaine vie) constituent une manne financière impressionnante… Les gens donnent ainsi entre 10 et 30% de leurs revenus dans des donations sans compter la quête des moines quotidienne le matin dans les rues! Il n’y a qu’à voir la multitude de pagodes, temples et stupas… Même la Thaïlande a côté fait pale figure!

ENVIRONNEMENT ET FAUNE

Seulement 1% du territoire est protégé. La surexploitation du bois de teck, les énormes carrières de pierres précieuses et des projets pharaoniques conclus avec la Chine (secteurs miniers, forage de gaz offshore, nombreux projets de barrages hydroélectriques pour alimenter la Chine en énergie) mettent à mal une bonne partie de la biodiversité du pays. En contrepartie du pillage des ressources naturelles, la Chine permet à la Birmanie d’avoir des emprunts importants à des taux très bas… dont évidemment une grande partie va directement dans les poches des dirigeants. A noter que la Chine, qui a tout intérêt à maintenir une certaine stabilité en Birmanie, n’hésite pas à former l’armée birmane et à fournir aussi bien des armes à la junte militaire au pouvoir… qu’aux minorités ethniques. Diviser pour mieux régner comme d’habitude…

Le lac Inle, en plus d’être pollué par les eaux usées, a perdu une énorme partie de sa superficie aussi en 50 ans.

Parmi les animaux emblématiques de ce pays, citons les éléphants (la plupart sont domestiqués et ramassent le bois de teck), les léopards, les dauphins d’eau douce de l’Irrawaddy (utilisés dans certains villages comme « chien de pêche » pour rabattre le poisson vers les filets).

ECONOMIE ET DROITS DE L’HOMME

Aujourd’hui près de 75% de la population vit directement de l’agriculture, qui représente 35% des exportations et 40% du PIB. Hormis le pavot (la Birmanie est un des premiers producteurs mondial d’héroïne mais aussi de méthamphétamine), les principales cultures sont le riz, le coton, les hévéas, le tabac, la canne à sucre, le sésame, le blé, les arachides.

Le pays dispose de nombreuses richesses naturelles : métaux, gaz, pétrole, pierres précieuses (rubis et jades notamment), et le bois de teck (90% des réserves mondiales). Pour ceux et celles qui achèteraient en Europe des pierres précieuses, sachez qu’il y a fort à parier que votre bijou hors de prix provienne de Birmanie via la Grande Bretagne (anciens colonisateurs). Et aussi que les conditions de travail dans les carrières sont telles que les étrangers ne sont pas admis dans les régions concernées (nord du pays).

Les industries quant à elles sont très limitées. Elles ne représentent que 20% du PIB avec comme secteurs principaux l’agroalimentaire et l’exploitation minière.

Depuis 2011 et l’auto-dissolution de la junte militaire au pouvoir depuis 1962 (Cf. partie Chronologie résumée), le tourisme a explosé en Birmanie. Les français sont sûrement les plus représentés. En 2013, on dépassait déjà le million de touristes par an ce qui a évidemment fait grimper les prix (hébergements, transports, droits d’entrée). En plus des partenaires économiques traditionnels (Chine, Thaïlande, Inde), les États-Unis et l’Europe ont levé leurs sanctions (sanctions prises pour non respect des droits de l’Homme) et investissent massivement dans de grands projets industriels. A côté de ça, le pouvoir en place n’hésite pas à déplacer les populations, à faire surveiller les chantiers par des gardiens en armes et à recourir systématiquement au travail forcé (esclavage) y compris pour les femmes et enfants.

90% des birmans vivent avec moins de 0,50€ par jour ce qui situe le pays au 149ème rang mondial sur 187 dans l’indice de développement humain. 25% de la population n’a pas accès ni à l’électricité ni à l’eau potable. Le salaire moyen d’un fonctionnaire est de 50€. La devise du pays est « le bonheur se trouve dans une vie harmonieusement disciplinée ».

A peine 5% du budget national est consacré à l’éducation et à la santé. Le budget de la défense correspond à 20% du budget. A propos de l’armée (la plus importante d’Asie malgré l’absence d’ennemis extérieurs!), il faut savoir que beaucoup de gamins dès l’âge de 13 ans sont enrôlés de force ou contraints aux travaux forcés en zone militaire ou encore à la rénovation de routes…

De nombreux témoignages font part de villages incendiés par l’armée, de femmes violées collectivement, de meurtres ou disparitions, de torture… tout ça pour être né dans une des nombreuses ethnies minoritaires… Beaucoup de réfugiés fuient vers le Bangladesh, l’Inde ou la Thaïlande, du moins quand ils peuvent… Certaines minorités dont les Karen vivent pour une grande partie complètement reclus dans la jungle avec aucun accès à un travail rémunéré, ni système de santé ni éducatif. Actuellement, un mouvement anti-musulmans est à la mode aussi. Bref sans vouloir rentrer dans les détails, tout voyageur voulant se rendre en Birmanie devrait savoir que de nombreuses zones lui seront interdites d’accès (système de lettre d’autorisations impossibles à obtenir), que l’esclavage est monnaie courante, et qu’une grande partie de l’argent que l’on dépense va directement dans les caisses du parti au pouvoir… J’ai d’ailleurs été surpris par l’écrasante majorité de voyageurs rencontrés en Birmanie qui n’avaient aucune idée des problèmes réels que connaît ce pays… On est tous dans des rails tout le monde fais exactement le même itinéraire à différentes vitesses (selon la durée de nos vacances respectives) et pourtant… Je ne dis pas qu’il faut boycotter le pays, les locaux sont très contents de nous voir et on les aide toujours un peu en venant mais dans la mesure du possible chacun devrait essayer d’aller dans des guesthouses et petits resto pas chers qui ne sont pas directement associés à la junte militaire! Difficile pour nous en tant que touristes de nous rendre compte de l’omniprésence d’un régime de fer devant autant de sourires et de gentillesse…

Un sujet toujours d’actualité est la polémique sur Total (qui je rappelle est bien une entreprise française). En 1994, Total a lancé la construction d’un gazoduc à partir d’une plate-forme située en mer d’Andaman. Ce gaz, qui rapporte des milliards (57% des recettes du budget national) est vendu à la Thaïlande et permet de renflouer considérablement les caisses de la junte militaire. Certains rapports d’ONG ont montré par la suite que la construction de ce gazoduc aurait entraîné une recrudescence du travail forcé, des mouvements de population, et même des exécutions. Evidemment Total, tout comme le pouvoir politique, dément ces accusations…

Je ne peux pas clore cette partie sans parler du symbole de la liberté d’expression… Aung San Suu Kyi (ASSK). Née en 1945 à Rangoon (Yangon), fille d’Aung San, père de l’indépendance du pays en 1948 avant d’être rapidement assassiné, ASSK vécut longtemps en Inde (sa mère était ambassadrice à Delhi) puis étudia à Oxford. Elle y rencontre son mari et eurent 2 enfants. En 1988, elle rentre au pays pour s’occuper de sa mère malade et devint rapidement le leader de la ligue nationale pour la démocratie (NLD). En 1990 son parti remporte les élections face à la junte avec plus de 80% des voix. En 1991 elle reçut le prix Nobel de la paix mais elle ne put évidemment pas aller le chercher puisque la junte, qui a invalidé les élections, l’assignent à résidence. Privée de son mari et de ses enfants restés au Royaume-Uni, elle refuse la possibilité de s’expatrier et devint dès lors une icône pour la liberté d’expression. Son mari mourra d’un cancer en 1999 sans avoir revu sa femme en 11 ans. A plusieurs reprises elle put sortir avant d’être assignée à résidence à nouveau. Dans le cadre de l’ouverture annoncée du pays, et de l’auto-dissolution de la junte au pouvoir en 2011, elle fut enfin libérée et élue députée en 2012. Elle put ainsi partir en Europe et recevoir son prix Nobel décerné 21 ans plus tôt.

Aujourd’hui, ASSK brigue le poste de Président lors des élections prévues en novembre 2015. Mais ses chances sont compromises puisque l’armée a fait passer en 2008 un amendement à la Constitution qui dit que 25% des postes restent réservés aux militaires et que pour être élu président il faut avoir exercé pendant 15 ans dans l’armée et ne pas avoir été marié à un étranger ni avoir des enfants de nationalité étrangère… Le comble, c’est que la clause de nationalité du conjoint avait été inscrite dans la Constitution de 1947, rédigée par le père de ASSK juste avant son assassinat…

CHRONOLOGIE RESUMEE

- Invasion de la Birmanie par les anglais en 3 opérations (1824, 1852, 1885).

- 1937 : La Birmanie, séparée de l’Inde, devint une colonie britannique à part entière.

- 1942 : invasion par les japonais. Episode du pont de la rivière Kwaï (Thaïlande).

- 1945 : les japonais sont chassés par le général Aung San, père de ASSK. Naissance de ASSK.

- 1948 : Indépendance de la Birmanie. Démocratie parlementaire jusqu’en 1962 malgré de nombreuses tensions avec certaines minorités.

- 1962 : coup d’Etat du chef d’état-major de l’armée. Fin de la Constitution, fermeture du pays et nationalisation de l’économie.

- 1988 : manifestations qui tournent au carnage. Débuts politique de ASSK.

- 1989 : la Birmanie devient le Myanmar.

- 1990 : Le parti de ASSK gagne les élections avec plus de 80% des voix. L’armée refuse de perdre le pouvoir et assignent ASSK à résidence… qui y restera presque en continu jusqu’en 2010 malgré la possibilité de pouvoir partir à l’étranger sous réserve de ne plus revenir dans le pays.

- 1991 : ASSK lauréate du prix Nobel de la paix. Elle le récupérera qu’en 2012.

- 2002 : des réfugiés portent plainte contre Total pour séquestration et complicité dans leur enrôlement de force par l’armée birmane.

- 2006 : inauguration de la nouvelle capitale, Naypyidaw. Rapprochement de plus en plus marqué avec la Chine.

- 2007 : révolution safran. Face à la hausse spectaculaire du prix du carburant de nombreux moines défilent dans les rues. Le gouvernement riposte. Au moins 31 morts, 3 000 arrestations et des disparus. Il s’agissait de la plus grande manifestation depuis 1988…

- 2008 : cyclone dévastateur « Nargis » fait 140 000 morts, 800 000 déplacés et 2 millions de sans abris dans le sud du pays, région la plus fertile. Le gouvernement vote à 92% le nouvel amendement fermant ainsi la porte à la candidate ASSK pour les élections présidentielles de 2010 et celles de 2015…

- 2011 : la junte s’auto-dissout, laissant place à une administration civile. Thein Sein, ancien général et ex-Premier ministre, est élu Président par une assemblée composée essentiellement d’anciens militaires. Début d’un gigantesque programme de privatisations. Les généraux préparent le terrain de leur reconversion dans les affaires, car ils entendent désormais se muer en entrepreneurs civils en suivant l’exemple de la Chine, convertie au libéralisme économique sans céder sur les libertés politiques. La création de syndicats et le droit de grève sont autorisés. 230 prisonniers politiques sont libérés. Le partie de ASSK est à nouveau autorisé.

- 2012 : le parti de ASSK remporte 43 des 48 sièges renouvelés au Parlement (sur un total de 664 dans les 2 chambres). Victoire symbolique mais qui marque une pseudo-ouverture du pays. Fin de l’embargo américain et européen pris à l’origine pour non respect des droits de l’Homme…

Et n’oublions pas non plus les minorités ethniques discriminées par les birmans eux-mêmes et par l’armée qui n’hésite pas à recourir au travail forcé (y compris chez les enfants), au viol, au pillage, et même à l’interdiction pour certaines ethnies de bénéficier d’un accès aux soins ou à l’éducation. Les combats font rages depuis des décennies, beaucoup trouvent refuge dans la jungle aux portes de la Thaïlande et du Bangladesh ou de la Chine. Evidemment le gouvernement fera toujours en sorte que cette triste réalité demeure un secret de polichinelle…

Ceci dit soyons optimiste les choses vont quand même globalement dans le bon sens depuis 2011… en partie grâce au tourisme et à une plus grande liberté de parole!